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Interview

« À la deuxième année du bac scientifique, nous n’étions que deux filles sur 35 élèves »

Femmes de science 2023

Mesurer le clivage provoqué par le genre dans une carrière dédiée à la science, à la technologie et aux mathématiques (STEM, en anglais), c’est quelque chose qu’elle a appris assez tôt dans sa vie. Au début de ses études pour obtenir un bac scientifique, Audrey Valette, aujourd’hui consultante en coordination de projets R&D et l’une des 162 femmes STEM travaillant chez Zabala Innovation, se voyait « entourée par un océan d’hommes ». Aujourd’hui, cette lyonnaise âgé de 30 ans crois qu’au-delà du rôle indéniable joué par l’éducation, ce sont les médias qui doivent se charger de casser les stéréotypes les plus obsolètes qui entourent encore certaines professions.

J’ai commencé par un bac scientifique, spécialisé en sciences de l’ingénieur. Ensuite, j’ai fait une licence en physique-chimie-sciences de l’ingénieur à l’université de Lyon. Je me suis par la suite orientée sur la chimie pour plusieurs raisons. Ce domaine m’intéressait particulièrement, et de surcroît, chez les filles en général les sciences de l’ingénieur n’avait pas la côte. En outre, j’ai redoublé six mois de licence, et à la fin des trois premières années d’université, j’avais du temps libre avant de commencer le cycle de master. Je suis donc allée voir un de mes professeurs qui, par la suite, a décidé de me confier un de ses sujets de stage. Cela m’a tellement intéressée que je me suis dit : « C’est vraiment ça  que je veux faire, je veux être chercheuse dans le domaine de la chimie des matériaux inorganiques ».

J’ai complété mon parcours par un master en chimie des matériaux à l’ancienne université de Paris 6 (aujourd’hui appelée Sorbonne Université) qui donnait la possibilité de faire deux stages très intéressants de cinq mois chacun, un en première année et un en deuxième année. J’ai eu la chance de réaliser le deuxième stage au Japon, où je me suis sentie vraiment épanouie.

Je dirais qu’il y a eu deux moments. Au lycée j’aimais bien toutes les matières, j’étais assez ouverte, mais j’avais des facilités dans le domaine scientifique. Déjà à l’époque, j’avais beaucoup d’intérêt pour les cours de chimie, alors j’ai décidé d’essayer ce parcours, un peu à tâtons. Cependant, le réel élément déclencheur a été le stage après la licence. Je me sentais réellement bien en travaillant dans le laboratoire. Les femmes représentaient la majorité des élèves en chimie, donc, dans cet écosystème-là, je n’ai pas eu le moindre problème en tant que femme.

Déjà à la deuxième année de lycée, nous n’étions que deux filles sur 35 élèves. C’est vraiment peu , n’est-ce pas ? Plus tard, lorsque j’ai terminé le master, j’ai décidé de faire un doctorat qui se déroulait à moitié dans un laboratoire et le reste du temps chez l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). Ma thèse portait sur de nouvelles voies de transformations du pétrole en produits d’intérêts tels que le méthane, l’éthane et le gasoil. Rentrer dans cette entreprise m’a permis de discuter avec d’autres corps de métiers comme la mécanique, la géoscience ou l’informatique. Et c’est là où j’ai réalisé qu’il y avait des choses qui n’allaient pas.

Le ratio de femmes dans l’entreprise à l’époque devait être autour de 40 %, ce qui est plutôt bien. Malgré cela, en observant l’organigramme, j’ai pu constater qu’il y en avait beaucoup moins dans tous les départements qui touchaient à la mécanique ou à l’informatique. La présence féminine se concentrait plutôt dans la chimie ou les ressources humaines. Pareillement, il y avait beaucoup plus de femmes techniciennes, et plus on montait dans les échelons, moins il y en avait.

Dans un service particulier, où il y avait beaucoup d’hommes, généralement âgés, une collègue, thésarde également, s’était pris une réflexion car, lors d’une présentation devant les chefs, elle était venue en jupe (ou en robe, je ne me souviens plus) et maquillée. Sa tenue ne m’avait pas choqué du tout, et pourtant on lui a fait la remarque qu’une jupe ou une robe, ne faisait pas sérieux, qu’il valait mieux y aller en pantalon et pas trop maquillée, sinon elle serait moins prise au sérieux dans le discours qu’elle allait tenir. C’était en 2018. Comme quoi, il y a des choses qui ne bougent pas beaucoup ! Cela m’a choqué. Pourquoi le message allait passer moins bien sous prétexte qu’on porte une jupe, une robe ou du rouge à lèvre, le discours étant le même ? Cela avait fait un peu  scandale lorsqu’elle nous avait fait part des réflexions qu’on lui avait faites, mais par la suite nous nous sommes en quelque sorte adaptées. Quand il y avait des présentations nous nous questionnions à propos de notre propre tenue, alors qu’avant nous n’y pensions pas.

Je ne dirais pas plus facile, car je n’ai pas eu de grosses difficultés. Mais je faisais de la chimie, et il n’y a pas ou peu de discriminations ou d’à priori dans ce domaine, à ma connaissance. Je dirais plutôt qu’elle aurait été différente. Je me serais peut-être intéressée à d’autres typologies de métiers STEM au lieu de penser : « Il n’y a que des garçons, cela va être compliqué ». C’est vrai que j’étais plutôt douée en chimie et j’aimais énormément cela, mais il est aussi certain que le fait de voir des femmes réussir dans le domaine dans lequel on s’engage, a un côté rassurant.

Oui, je pense surtout à ma directrice de thèse. Elle avait été également ma responsable de master et professeure de matériaux inorganiques, et c’est une personne très pédagogue et inspirante. Forcément, en tant que femme, je m’y suis identifiée plus facilement que si cette personne avait été un homme. Je suis ravie qu’elle ait pu être mon mentor. Ces années au laboratoire, j’étais également entourée de beaucoup de femmes. C’est là que j’ai réalisé qu’il était essentiel d’avoir des femmes dans ces postes importants afin de pouvoir s’identifier et se dire : « Moi aussi, je peux y arriver ».

Il y a un manque d’exemples. Plus nous avons d’exemples de femmes dans les carrières STEM, plus nous pouvons nous dire que cela n’a rien d’exceptionnel et que nous y avons notre place et ainsi faire tomber les barrières.

En France, il y a beaucoup d’initiatives qui sont mises en place aujourd’hui pour féminiser le domaine de l’informatique. Au collège et au lycée des cours pour apprendre à coder sont organisés. C’est bête, mais à cet âge-là il n’y a pas forcément de barrières, donc un garçon comme une fille peut se dire : « Ah, c’est sympa le code, je vais peut-être m’y mettre ». Autrefois l’approche était bien différente. Je me souviens qu’en informatique il n’y avait que des garçons et l’image que nous en avions était celle du geek qui ne sort pas de chez lui et qui passe sa vie sur un ordinateur. De quoi ne pas en avoir envie ! Nous sommes en train d’enlever ces barrières, mais, avant d’avoir les résultats, il faut que ces personnes, qui sont aujourd’hui au collège et au lycée, arrivent sur le marché du travail. Nous en avons encore pour au moins 10 ans.

Elle est multifactorielle. Il y a d’abord l’éducation, c’est une évidence, juste pour faire découvrir aux femmes ces métiers et leurs dire que c’est une possibilité pour elles aussi. Cela étant, l’entourage compte également beaucoup : sans même parler de carrière STEM, je suis sûre qu’une partie de parents encore aujourd’hui seraient choqués d’entendre leur fille de 15 ans leur dire qu’elle souhaite être mécanicienne. Et cela doit être pareil pour les informaticiennes ou les chirurgiennes. Il y a encore ces stéréotypes de genre qu’on a du mal à casser parce qu’ils sont ancrés dans l’imaginaire collectif. La solution passe par les associations et les actions collectives, bien sûr, mais surtout par les médias. Tous les gens de mon âge ont très bien intériorisé le slogan : « Celui qui conduit c’est celui qui ne boit pas » et il serait inconcevable pour moi de conduire ne serait-ce que deux mètres sans ceinture de sécurité, par exemple. Et c’est grâce aux campagnes dans les médias. Je pense donc que celles-ci ont un vrai rôle à jouer pour casser tout type de stéréotypes, y compris ceux liés aux corps de métier STEM.

 


 

Retrouvez sur notre site internet les autres interviews que nous avons réalisées à l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science (11 février) avec  nos collègues Margot Delestre, master d’ingénieur chimiste, et Maribel Ugarte, master d’ingénieur mécanique.

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